Après celles de 2004, 2009 et 2014, la formation professionnelle va à nouveau connaître une nouvelle réforme. Aujourd’hui, la France dépense dans ce domaine plus de 25 milliards d’euros, une somme dont la bonne utilisation laisse dubitatifs… Une remise à plat semblait donc nécessaire pour redonner de la compétitivité aux entreprises en renforçant les compétences des salariés. L’un des principaux objectifs est également de simplifier la « tuyauterie » de la formation professionnelle, casse-tête dissuasif pour les entreprises, de s’attaquer au « back office » car pour bon nombre de TPE PME, les choses ne sont pas suffisamment lisibles et le système reste trop opaque. Les mesures se précisent au fil des semaines, avec la parution progressive des différents décrets d’application. Du point de vue des chefs d’entreprise, quels sont les premiers points à connaitre, quels changements et quelles avancées concrètes vont en découler demain ? Emmanuel Huyng, conseiller emploi Formation chez Uniformation* pour le Val d’Oise, nous éclaire sur le sujet et pointe les principales mesures qui s’appliqueront dans les mois à venir. 

En quoi la réforme va-t-elle simplifier les démarches ? 

Une seule cotisation formation professionnelle sera collectée par les Urssaf d’ici 2020. Les entreprises ne paieront plus que la cotisation formation professionnelle (CFP), au lieu de deux aujourd’hui (1% formation et taxe d’apprentissage). Le but affiché est de faciliter les démarches administratives des entreprises. Celles-ci n’en auront plus aucune en matière de cotisation de formation, contrairement à aujourd’hui. D’autre part, elles ne seront plus sollicitées par plusieurs organismes pour s’acquitter de leur contribution formation et de leur taxe d’apprentissage. France Compétences reversera les fonds collectés aux Opérateurs de Compétences, chargés de leur gestion. La nouvelle réforme s’attaque ainsi à la gouvernance et aux circuits de financement, en supprimant les Opca (dans leur rôle de collecteur) et en renforçant la tutelle étatique sur l’ensemble du système.

De simplification, il en est aussi question au niveau du plan de formation…

En effet, la construction du plan de formation, rebaptisé « plan de développement des compétences », sera fortement modifiée. Le projet de loi renverse la perspective sur ce qu’est une action de formation. On ne part plus du « programme » pour la définir, mais des objectifs professionnels qu’elle vise. Une véritable souplesse sera donc permise quant aux modalités d’apprentissage. Le Plan de développement des compétences recensera ainsi toutes les actions apprenantes aux processus pédagogiques variés. Les formations classiques y auront toujours leur place, mais y figureront également les formations en situation de travail, les conférences, la conduite de projets tutorés, le coaching… On peut imaginer ainsi de véritables parcours de formation mixant différentes méthodes pédagogiques. Ce qui compte c’est que le collaborateur acquiert les compétences et que les méthodes utilisées soient organisées.

Cette réforme sera-t-elle favorable aux TPE / PME et à leurs salariés ?

Les TPE-PME et startups de moins de 50 salariés devraient être les grands bénéficiaires de cette réforme de la formation professionnelle. Le gouvernement souhaite résorber les écarts entre grandes et petites entreprises et mettre en place un système de solidarité par une mutualisation financière plus efficace. En effet, 35% des salariés des TPE sont formés contre 62% des salariés d’ETI ou de grandes entreprises. La cotisation formation professionnelle des entreprises de -11 salariés sera de 0,55%, soit un effort proportionnel moindre que les autres entreprises. Contrairement aux grandes entreprises, les TPE-PME bénéficieront d’aides pour financer leur plan de formation afin de stimuler le développement des compétences.

Qu’en est-il de l’entretien professionnel, des changements sont-ils annoncés ?

Le caractère obligatoire de l’entretien professionnel et du bilan récapitulatif tous les 6 ans est maintenu. Cet état des lieux permet de vérifier que le salarié a bénéficié au cours des six dernières années des entretiens professionnels auxquels il avait droit et d’apprécier s’il a suivi au moins une action de formation, acquis des éléments de certification par la formation ou par une validation des acquis de son expérience, bénéficié d’une progression salariale ou professionnelle. Désormais, l’employeur pourra justifier d’un critère supplémentaire : une action mise en place dans le cadre du Compte Personnel de Formation (CPF) abondé par l’entreprise, lorsque le niveau de l’abondement est au moins équivalent à la moitié des droits acquis par la salarié.

Un autre sujet dont on entend beaucoup parler : le CPF, qu’en est-il exactement ?

C’est la mesure la plus souvent commentée : le Compte personnel de formation, désormais libellé en euros, va permettre un accès à toutes les formations certifiantes du marché, sans intermédiaire, par le biais d’une simple application mobile. Cette réforme du CPF s’inscrit dans une logique d’individualisation à l’oeuvre depuis une quinzaine d’années. Avec le CPF, les heures acquises le sont définitivement, même si le salarié quitte l’entreprise. Il est possible d’utiliser son CPF sans demander l’accord de l’employeur, à condition de se former en dehors du temps de travail. La question reste posée : le CPF peut-il être considéré comme un outil de la politique de formation des entreprises ? En principe, oui : le salarié qui souhaite se former sur son temps de travail et bénéficier d’abondements complémentaires aura besoin de co-construire son projet avec l’entreprise et pourra alors puiser dans son capital CPF. Aux entreprises d’accompagner leur personnel dans cette démarche. Pour y voir plus clair, les salariés pourront faire appel à un conseiller. Dans chaque région, un organisme en charge du conseil en évolution professionnelle (CEP) sera choisi selon une procédure d’appels d’offres.

Qu’en disent les dirigeants que vous rencontrez ?

Il est tôt pour émettre un réel avis ur la question. Le sujet n’est pas encore maitrisé. Le dirigeants trouvent néanmoins les changements trop fréquents. Il faut du temps pour s’approprier le sujet et les dispositifs sont complexes à maitriser. A peine ont-ils l’outil en main qu’il faut déjà faire face à de nouvelles mesures. Certaines organisations patronales ne cachent pas leurs inquiétudes : ils redoutent un CPF à la seule main des salariés et une individualisation totale de leurs droits, ce qui, selon elles, ne va pas dans le sens du dialogue entre le collaborateur et l’entreprise. Dans ce contexte, les entreprises risqueraient finalement de verser davantage de cotisations qu’elles n’en récupèreraient, et, si elles ne construisent pas un outil d’abondement financier du CPF, de perdre l’usage de leurs cotisations légales. Il faut maintenant attendre que tout cela se mette progressivement en place. Les dirigeants doivent rester au fait de tous ces changements et peuvent se faire épauler par les différents organismes d’accompagnement pour y voir plus clair.

*UNIFORMATION est l’OPCA et l’OPACIF des entreprises et des salariés de l’économie sociale, de l’habitat social et de la protection sociale (associations, coopératives, mutuelles…).

 

Memo sur la réforme de la formation professionnelle 

 

Loi « Pour la liberté de choisir son avenir professionnel » : Zoom sur les grandes lignes de  la réforme de la formation professionnelle

 Lundi 5 mars 2018, la Ministre du travail Muriel Pénicaud a présenté les principaux axes de la réforme de la Formation Professionnelle. Désormais, la Formation Professionnelle Continue devient la Formation Professionnelle et encadre les « actions concourant au développement des compétences » qui sont :

  • Les actions de formation
  • Les bilans de compétences
  • Les actions permettant de faire valider les acquis de l’expérience
  • les actions d’apprentissage

Après de multiples amendements, la loi, qui aborde également les questions de l’apprentissage et du chômage,  a été transmise début août  à la Cour Constitutionnelle pour un  retour prévu début septembre 2018.

Ce qui va changer  pour les individus :

  • Le CPF rénové, Compte Personnel Formation, est comptabilisé en Euros et non plus en heures :
  • 500 €/ an plafonné à 5000 € sur 10 ans pour tous les salariés, qu’ils soient à temps plein ou à temps partiel
  • 800 €/an plafonné à 8000 € sur 10 ans pour les salariés sans qualification
  • Financement par la Caisse de Dépôts et Consignation (date prévue : 2020) L’entreprise pourra abonder financièrement
  • Le CPF de transition professionnelle remplace le CIF, Congé Individuel de Formation
  • Les formations se déclinent en blocs de compétences avec une certification enregistrée au Répertoire Spécifique
  • Fin des intermédiaires : chacun s’informe, choisit, paye et évalue la formation de son choix depuis une application mobile
  • Conseil en Evolution Professionnelle : des fonds spécifiques sont débloqués et un appel d’offre est prévu pour choisir la structure régionale en charge des actifs du secteur privé (date prévue : janvier 2019).

Ce qui va changer  pour les entreprises :

  • Une seule cotisation formation pour les entreprises au lieu de 2 (formation continue et apprentissage). La contribution reste identique : 1,23 % pour les entreprises de moins de 11 salariés et 1,68 % pour les plus de 11 salariés
  • La cotisation formation unique est versée à l’URSSAF et non plus aux OPCA (date prévue : 2021)
  • Les plans de formation des entreprises de moins de 50 salariés sont financés par tous : une partie des cotisations versées et mutualisées est reversée aux entreprises de moins de 50 salariés

Ce qui va changer pour les opérateurs :

  • Création de l’agence France Compétences : elle remplace les trois instances actuelles COPANEF, CNEFOP, et FPSPP. Elle est chargée, entre autres, de redistribuer les sommes perçues par l’URSSAF, d’évaluer, de contrôler, de réguler le système et d’exécuter les politiques publiques.
  • Des « Opérateurs de compétences » ou OPCOM remplacent les OPCA, OCTA et OPACIF. Ils ont, parmi leurs missions, le financement des centres de formation d’apprentis et  le plan de formation des TPE/PME (date prévue : 2020).
  • Les FONGECIF sont transformés en « commissions paritaires interprofessionnelles régionales » et sont en charge du CPF de transition professionnelle.

 

Lire aussi les articles sur :

L’entretien professionnel : https://www.contact-entreprises.net/lentretien-profe…vec-ses-salaries/  

Les réseaux comme vecteur de compétences : https://www.contact-entreprises.net/reseaux-tout-ne-sapprend-pas-sur-les-bancs-de-lecole/